Il n’était pas un grand fan de sport, pour autant il avouait que le ski de fond, ça le passionnait pas mal. Bien sûr, il ne passait pas ses soirées devant un match, ou devant des écrans de télévision, mais quand il avait la chance de pouvoir assister à l’un d’entre eux, il n’hésitait pas. Évidemment, actuellement, ce n’était pas la saison en Norvège, même pas du tout, mais c’était au détour de plusieurs articles sur internet qu’il était retombé sur des articles passionnants. Il en avait donc profité pour se cultiver au sujet de la Norvège, de leurs équipes, de leurs joueurs, afin d’en savoir un peu plus et surtout, de pouvoir discuter de tout ça avec certains natifs. Tout comme il se renseignait sur la ville, l’histoire du pays, les mythes, ou encore les quelques fêtes nationales qui passaient par-ci, par-là. Autant dire qu’il était un bon élève, doué d’une curiosité qu’il ne soupçonnait pas. Il s’était toujours connu comme étant curieux de son univers, de ce qui se passait autour de lui, ou ce qu’il ne pouvait pas faire. Mais de là à s’intéresser autant à un pays, non, clairement, il ne l’aurait jamais soupçonné. Sans doute parce que ce pays avait une place particulière dans sa vie. Désormais, c’était le seul lieu où ils pouvaient vivre, tout en étant au plus près de leur ancienne vie. C’était également le seul lieu où ils commençaient une nouvelle vie, avec le pire comme début. La mutation de son époux. Une étape de leur vie commune qu’il n’avait pas mesurée, pas imaginé et qu’il digérait toujours très difficilement. Etait-ce égoïste de sa part de vouloir que Sevastyan redevienne comme avant ? Il n’en savait pas très bien et préférait ne pas y penser, mais d’un autre côté.. Ca aurait été tellement plus simple pour tout le monde qu’il ne soit qu’un humain. Un simple humain. Enfin, tout ceci ne pouvait pas être changé, malheureusement.

A son arrivée en Norvège, il avait débuté sa vie comme simple informaticien, rendant service à des particuliers essentiellement. Une fois installé, il avait finalement choisi de monter son site internet – passant outre quelques lois au passage – dans le but d’offrir ses services au plus offrant. L’avantage, il travaillait chez lui – à son rythme et sans difficulté, de plus il pouvait faire plusieurs contrats en même temps et se faisait grassement payé. Chaque option demandée augmentait le coût du site et, il ne fallait pas se mentir, Torvald était plutôt bon. Ainsi, sa vie s’était nettement améliorée. Avec cet argent, il payait de quoi faire des petits gadgets, de quoi améliorer sa chasse, ou de quoi faire plaisir à son époux. C’était au choix. De toute façon, il était plutôt économe, donc même s’il dépensait une partie de sa paye, il y avait le reste qui se retrouvait – tout le temps, sur un autre compte, afin de faire des économies.
Toujours est-il que, ce soir là, il décida de quitter son bureau, afin d’aller se promener en ville. Sevastyan quant à lui était il ne savait pas trop où (sans s’en inquiéter). Il lui laissa un petit mot sur la porte du frigo, lui indiquant qu’il serait bientôt de retour. Puis, sans même chercher plus loin, prit sa veste en cuir et referma la porte de leur appartement.

Une fois en plein centre ville, il déambula quelques minutes, profitant du paysage norvégien. D’ailleurs, il suivait des cours de langue, afin d’améliorer son niveau et de se perfectionner. Ce n’était pas simple – cette langue étant vraiment difficile, mais il progressait au fur et à mesure. L’avantage, sans doute, de parler déjà deux langues courramment.
Entendant du bruit dans un bar sur son chemin, il profita de l’occasion pour aller boire un verre ou deux. C’est accoudé au bar qu’il fit connaissant avec Ingrid, une jolie brune qui – apparemment – n’avait pas compris son homosexualité (et pourtant il lui avait bien expliqué), avec Tomas (un joli jeune homme à croquer), et avec un barman pas causant du tout. Buvant sa cinquième bière – une discussion entrainant à chaque fois une nouvelle bière, il décida d’aller faire un tour, histoire de s’aérer le cerveau. Se levant sans doute un peu vite et se retournant, certainement, beaucoup trop vite, il percuta de point fouet un homme. Plus âgé que lui, mais pas mal du tout. « Oh merde. » S’exclama-t-il dans sa langue native, avant de poursuivre dans un norvégien hésitant, teinté d’un bon accent suédois. « Je suis désolée. Pas fait mal ? »

Est-ce qu’il était d’une nature maladroite ? Oui et non. Il avait tendance à faire quelques petites bourdes, mais ce n’était pas si régulier que l’on pouvait dire qu’il était maladroit. Par contre, une fois l’alcool dans son sang, c’était une toute autre histoire. Il avait l’alcool joyeux (et à en croire ses amis, un peu trop), il avait donc l’habitude d’aller vers les autres, d’essayer de faire pleins de choses qu’il n’était pas en état de faire et, généralement, ça se finissait en catastrophe. Ainsi, la plupart de ses proches ne seraient pas étonnés d’apprendre qu’il avait renversé sa bière sur un parfait inconnu. C’était typiquement ce dont il était capable de faire, et comment.
Il fut soulagé de voir que l’homme en face de lui n’avait pas envie de lui arracher la tête alors qu’il venait de ruiner sa tenue. Et fut amusé par sa remarque. C’est un rire hilare et grivois qui s’échappa d’entre ses lèvres, trouvant la situation bien plus drôle qu’elle ne l’était déjà. « Et une pinte pour mon ami ! » S’écria Torvald, en montrant du doigt l’homme en face de lui. Il termina le peu qu’il restait dans sa pinte, avant de s’attabler aux côtés de l’inconnu. Il partait du principe qu’il était invité, de toute façon. « Et comment ! » S’empressa-t-il d’ajouter, avant de commander une nouvelle pinte pour lui. Il se doutait fortement qu’il devait diminuer sa consommation, mais ce soir-là, il avait eu le malheur de laisser des inconnus lui offrir des coups, alors qu’il savait pourtant pertinemment qu’il ne tenait pas l’alcool. « Vous êtes charmants, vous le savez ? » Laissa alors tomber le jeune homme, sans même se rendre compte qu’il ne le connaissait pas assez pour se permettre ce genre de remarque.

Pour autant, elle était des plus sincères. Le charisme – presque hypnotique – qui se dégageait du lui impressionnait le jeune homme. D’autant qu’il était souligné par un visage forgé par les années, sans doute par un caractère d’acier également et que ça plaisait – sans doute un peu trop – à Torvald. Pour autant, ce dernier était fidèle à son mari (et comment !), mais il ne pouvait pas s’empêcher de regarder les autres, gourmands comme il était. Après tout, dévorer des yeux une pâtisserie n’était pas grignoter, alors regarder de loin de bels hommes n’était pas tromper. Et oui, la vie était aussi simple que ça.

« Sans vouloir être, indiscret. » Commença Torvald, ravalant un rot in extrémis. « Pourquoi un homme comme vous est seul ce soir ? » Est-ce que ça tournait en une vieille drague de comptoir un peu déplacé ? Oui… Mais ce n’était pas les intentions de Torvald. Il voulait juste discuter, paisiblement, avec l’homme en face de lui. Sauf que l’alcool avait raison de ses désirs et profitait – sans pudeur – des compliments qu’ils faisaient mentalement à l’inconnu. « Que je suis impoli ! » Finit-il par ajouter, alors que l’autre n’avait pas eu le temps de prendre la parole. « Je suis Torvald ! » Se présenta-t-il, la mine réjouie. Comme s’il venait de lui donner la meilleure nouvelle de toute sa vie.

Torvald était un gars qui aimait bien s’amuser. Ca avait toujours été le cas, malgré sa famille de chasseurs et les codes qu’il se devait de respecter. Profiter de son quotidien, des gens qui l’entouraient qu’il s’agisse de sa famille, de ses amis, ou des hommes qu’il aimait, avait toujours fait partie de sa vie. C’était important pour lui de ne pas rester sur des regrets, sur des remords ou des non-tentés. Il pensait que toute expérience était bonne à prendre. Toutes, sauf celles concernant les loup-garous.
Ainsi, il avait passé sa vie à les traquer. Conduisant, comme ses parents avant lui, la tradition comme mode de fonctionnement, comme façon de penser. C’était sa façon de faire quelque chose de bien, sa façon de vivre sa vie, sa manière à lui de comprendre quelque chose d’incompréhensible. Ça l’avait été en tout cas. Et puis ça avait donné de magnifiques souvenirs. Comme son époux, qui n’était rien d’autre qu’un chasseur et l’homme de sa vie. Malheureusement, ça avait été aussi le pire moment de sa vie, quand son époux s’était fait mordre et était alors devenu une créature horrible. Bien sûr, dans son quotidien, il passait sa vie à ses côtés, à le soutenir, à l’aimer. Parce qu’il l’aimait. Parce qu’il le soutenait. Parce que ça faisait aussi partie de son quotidien, de sa vie, de sa nécessité première. Et puis, d’un autre côté, parfois c’était trop difficile. Alors, comme ce soir, il était sorti. D’abord juste pour se vider la tête, profiter un petit peu. Puis il avait discuté avec des étrangers, avait accepté un verre, puis deux, puis trop. Les verres s’étaient enchaînés et sa capacité à résister aux degrés d’alcool à l’intérieur de ces derniers s’était littéralement envolée.

Il remarqua à peine que le compliment qu’il avait fait à l’inconnu sembla le mettre mal à l’aise. Et si tant est qu’il l’avait véritablement notifié, il passa très vite à autre chose, bien décidé à entamer la conversation. « Enchanté égaleeement. » Laissa tomber Torvald, faisant mine de donner un petit coup de sa pinte dans celle de l’étranger, avant d’y tremper à nouveau ses lèvres. Il ne savait pas encore que la soirée risquait peut être de s’allonger et que le lendemain matin serait, certainement, très riche en migraine. « Oh, je suis sûr que vous êtes encore capable de grandes choses ! » Laissa-t-il entendre, amusé par la situation. Après tout, il était charmant (mais ça, il lui avait déjà dit) et il était à un âge où il pouvait, avec un joli petit tour de main, intéressé toutes les demoiselles. Des plus jeunes, eh bien, aux plus vieilles. En tout cas, c’était ce que l’esprit embrumé d’alcool de Torvald semblait décidé à croire. « Ma moitié est actuellement chez nouuus. » Petit hoquet qu’il avala discrètement, avant de reprendre. « Il est un peu morooose en ce mooment. » L’alcool embrumait déjà les paroles du jeune homme qui lui, avait très peu de résistance à ce dernier. Enfin très peu. Si en fait si, il n’avait pas l’habitude d’en boire et n’appréciait pas réellement ces sensations vaporeuses qui embrumaient son cerveau. Mais ça, c’était une toute autre histoire. « Du coup, votre moitié vous a laissé tomber ? » Demanda innocemment et naïvement le jeune homme, persuadé que la femme dont avait parlé l’inconnu était sa moitié. « Faut pas la laisser filer, v’savez. » Ajouta-t-il aussi, son index gauche se levant pour confirmer ses propos. Sa main droite quand-t-à elle, tenait toujours fermement sa pinte, pour le moment posée sur la table.

« Se disputeeeeer ? » Laissa-t-il entendre, réellement bien embrumé par l’alcool qu’il avait consommé. Beaucoup trop, consommé. C’était son problème à Torvald, il avait du mal à mesurer les quantités d’alcool et finissait – trop souvent – par se retrouver ivre. En soit, ce n’était pas bien grave, il n’allait pour autant pas faire de bêtises (enfin normalement), mais ne c’était pas non plus une situation glorifiante dont il pouvait se vanter. Surtout, qu’à tous les coups, le lendemain allait être difficile et que ça, il n’allait pas apprécier du tout. Pas du tout, du tout. Même pire. Il savait très bien qu’il allait être imbuvable, qu’il aurait mal au crâne, que la moindre lumière allait lui défoncer la cervelle et les yeux, bref. Ca n’allait pas être joli-joli et c’était (une fois encore) son mari qui allait en subir les conséquences. Super. Autant dire que ça ne le réjouissait pas d’avance. Enfin, comme s’il s’en souciait pour le moment ! « On se dispute pas nous. » Laissa-t-il entendre, avant de poursuivre. « C’juste qu’en c’moment, il a un peu d’difficultééés. » Miracle qu’il ai réussit à articuler quoique ce soit, le nez dans sa chope, alors en train d’essayer de boire une gorgée. Avant de se rappeler que pour ça, fallait lever le verre et boire. Ce qu’il fit. Avant de la reposer bruyamment.

Il réfléchit, regarda un instant l’homme en face lui. « Dites-moi, z’avez quel âge ? » Laissa-t-il alors tomber, se rendant compte qu’il parlait avec un très bel homme – certes – mais pas de première jeunesse. Après, il n’était pas non plus « vieux », entendons par là qu’il n’avait ni déambulateur, ni respirateur pour l’aider à vivre, mais qu’il savait apparemment bien se débrouiller encore. Pire, il semblait en bonne santé, terriblement charmant et Torvald lui aurait bien croqué un endroit ou deux. « Z’êtes sûr d’aimer les femmes ? » Finit-il aussi par lui demander, toute trace d’intimité complètement disparu. Sans doute dû aux trop nombreux verres qu’il avait bu dans la soirée, qui lui faisaient perdre toute notion des questions qui se disaient, ou ne se disaient pas. Et puis, qu’importe, il aurait très certainement oublié d’ici le lendemain, alors autant continuer ! Tiens, d’ailleurs, il reprit une gorgée. Après tout, son verre était encore bien plein, autant le finir, non ? Il ne fallait pas gâcher. Clairement pas. Ce n’était pas dans les habitudes de la maison. Oh que non.
Ainsi donc, il n’en prit pas une, mais deux. Avant de s’essuyer les lèvres dans sa manche et de se pencher sur l’homme en face de lui. Appuyant sa tête sur sa main, il regardait son partenaire de la soirée, en l’attente d’une réponse. Il était certain de lui avoir posé une question. Au moins. En tout cas, il n’avait, pour le moment, rien à lui dire, alors il préférait le regarder. C’était aussi une bonne façon de passer le temps. Et puis, c’était des plus agréable. Alors pourquoi s’en priver ?

Ivre. Torvald était complètement ivre, mais ça n’avait plus aucune importance. Tout ce qu’il appréciait, c’était ce moment d’euphorie complète, dans une période de sa vie plutôt compliquée. Une période durant laquelle Sev n’était pas au mieux de sa forme, sans doute du fait de sa transformation en monstre assoiffé de sang, qui tuait des innocents s’il ne se contrôlait pas. Sans doute. Un changement qui, même si Torvald faisait tout pour ne pas le montrer, l’affectait profondément. Sans doute pour ça que ce soir-là, il avait décidé de s’enivrer, jusqu’à oublier complètement qu’il devrait chasser et faire son métier, plutôt que de se noyer dans l’alcool. De toute façon, à cet instant précis, ça n’avait aucune importance, puisqu’il se focalisait totalement sur l’inconnu en face de lui. « Qua-qua-quarante et un. » Bégaya-t-il d’un ton admiratif. « Z’êtes encore frais. » Qu’il ne pût s’empêcher de sortir, son honnêteté était encore plus franche une fois ivre. Ce n’était pas du tout son genre d’habitude d’être aussi lourd (non du tout), mais l’alcool n’arrangeait rien (aggravait même). « Dommaaaaaaage. » Laissa-t-il entendre après un lourd silence. Un silence pendant lequel il avait contemplé, de manière complètement inapproprié son interlocuteur. C’est vrai qu’il était charmant. Très charmant. S’il avait été célibataire il se serait empressé d’aller plus loin. Enfin si l’autre avait été gay. Ce qui n’était clairement pas le cas. « Vraaaaiment….. Do-mmage. » Laissa-t-il encore entendre, l’alcool embrumant son disque, le faisait répéter inlassablement les mêmes choses, ou presque.

Puis, finalement, ce fut une autre remarque qui le sortit de sa contemplation. Enfin ses muscles buccaux en tout cas, qui tentèrent de faire une phrase. « Mboe. » Il s’y reprit une nouvelle fois. « P’tain de loups. » Qui laissa entendre, avant de boire une énorme goulée d’alcool, en laissant couler une partie de sa pinte sur son menton, sans pour autant s’arrêter d’avaler le liquide. Il s’essuya bruyamment la bouche avant de reprendre la parole. « Morsure à la con. » Baragouinait-il dans la barbe, incapable de faire preuve d’une quelconque prudence, puisqu’il ne pouvait pas imaginer que son interlocuteur était – potentiellement – doué d’une ouïe surdéveloppée. Puis, sortant de sa torpeur, il se décida à reparler à son interlocuteur. Ses yeux se posèrent à nouveau sur lui. « Sev est du genre… Distant. » Se permit-il de dire, ne voulant surtout pas en dire trop. « Sev… C’mon mari. » Ajouta-t-il, au cas où l’inconnu n’avait pas compris. Une serveuse passa non loin de lui, il leva la main, en même temps que sa voix s’éleva dans les airs. « Et M’amzelle, une pinte s’il vous plaît. » Dit-il en levant sa chope vide au visage de la serveuse. « M’ci. » Souffla-t-il une fois qu’il fut resservi.